Accusation de prosélytisme pro-mariage pour tous à l’encontre d’une ministre visitant une classe, dénonciation de l’enseignement de la « théorie du genre », polémique déclenchée par le président de l’UMP autour d’un livre pour enfants, organisation des « Journées de retrait de l’école », volonté d’entraver la mise en place des rythmes scolaires en dépit de la loi : j’ai le sentiment désagréable que l’école est devenue en quelques mois le théâtre des luttes idéologiques et politiques qui déchirent la société française.
Si la droite porte en elle une lourde responsabilité dans cette situation, soit qu’elle ait tiré savamment les ficelles des mouvements protestataires, soit qu’elle les ait exploités et récupérés à des fins politiciennes dans la perspective des municipales, elle semble avoir peu à peu perdu le contrôle d’une contestation qui se fait plus spontanée mais aussi plus radicale et plus inquiétante encore.
L’épisode des Journées de retrait de l’école en fut la démonstration : voilà que des parents, essentiellement issus des communautés musulmanes, décident de ne pas envoyer leurs enfants à l’école sur la base de fausses rumeurs propagées par Farida Belghoul et son sinistre compagnon de route, Alain Soral, quant à l’enseignement de la « théorie du genre ». Il s’agissait en réalité de simples ateliers (les « ABCD de l’égalité ») proposés à titre expérimental aux écoliers de quelques académies volontaires pour lutter contre les stéréotypes filles-garçons, parfois même aucune activité.
De son côté, la manif pour tous s’est recyclée en créant des « comités de vigilance » toujours contre cette fameuse « théorie du genre » accusée d’avoir fait son entrée en catimini dans les programmes officiels de SVT au lycée. La raison ? Un nouveau chapitre où l’on apprend la différence entre sexe biologique assigné à la naissance et construction sociale d’une identité sexuelle avec toutes les inégalités qui en découlent. Rien de nouveau sous le soleil ! N’était-ce pas Simone de Beauvoir qui écrivait, en 1949 déjà, qu’« on ne nait pas femme : on le devient » ?
Toutes ces contestations idéologiques et religieuses qui prennent pour cible l’école et ses enseignants doivent être prises au sérieux. J’entendais hier matin à la radio une mère réclamer une liste détaillée de toutes les activités scolaires de ses enfants et tous les sujets abordés en classe. On connait aussi la difficulté pour les professeurs d’enseigner la théorie de l’évolution dans certaines classes. Ne parlons pas des cours d’éducation sexuelle qui font l’objet d’attaques répétées depuis de nombreuses années alors qu’ils jouent un rôle important dans la prévention des risque de grossesse non désirée et de transmission de maladies vénériennes.
Derrière toutes ces dérives se cache un mouvement de fond qui cherche à rejouer la bataille de l’instruction contre l’éducation. On croyait ce débat enterré. Ne l’a-t-on pas d’ailleurs définitivement tranché en 1932 en renommant le Ministère de l’Instruction publique en Ministère de l’Éducation nationale ? Nul ne conteste qu’il faille instruire les enfants et leur apprendre à « lire, écrire, compter » pour reprendre la formule consacrée. Ce savoir de base est essentiel, indispensable même, et les enquêtes PISA nous montre qu’il y a encore des progrès à réaliser en France dans ce domaine. Mais l’école n’est pas seulement une fabrique de « têtes bien pleines », elle est aussi une institution républicaine qui forme des citoyens et les éduque à la vie de la cité. Jules Ferry disait que si l’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale appartient quant à elle à l’école. C’est cette visée de l’école qui est aujourd’hui menacée par des mouvements idéologiques réactionnaires. Il faut faire bloc contre cette tentative de déstabilisation de l’école et des enseignants, dont l’autorité pédagogique doit être réaffirmée face aux caprices de parents d’élèves qui veulent d’une école à la carte où l’on choisit ce qui peut et ce qui ne peut pas être enseigner. Disons le haut et fort : l’éducation à l’égalité et au respect de l’autre a toute sa place dans l’école de la République et il n’y a pas d’âge pour commencer à lutter contre les préjugés, les discriminations ou la violence.