Je regrette l’abandon de l’écotaxe annoncé par la Ministre de l’Écologie. Je sais que sa mise en œuvre était compromise par la révolte orchestrée par le lobby des transporteurs routiers et qui, dans un contexte général de grogne fiscale, a fini par trouver un écho important dans l’opinion, avec les conséquences que l’on connait en termes de dégradations matérielles.
Le gouvernement a préféré calmer le jeu. Preuve de sagesse ou aveu de faiblesse ? Je laisse à chacun le soin de juger. Je suis en tout cas persuadé que la redevance poids lourds était juste et nécessaire. D’abord, parce qu’il s’agissait d’une taxe environnementale qui donnait à la France les moyens de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, conformément à ses engagements internationaux. Ensuite, parce que ses recettes devaient être affectées au développement de moyens de transports alternatifs et à l’entretien de ceux existants. Enfin, parce que cette taxe épargnait les particuliers, ne s’adressant qu’aux poids lourds, premiers responsables de la détérioration des routes, et notamment aux camions étrangers qui utilisent nos infrastructures sans participer à leur financement.
Le retrait de l’écotaxe pénalise doublement l’État qui perd 600 millions de recettes potentielles par an (ou le double si l’on prend en compte la version initiale de l’écotaxe avant que le gouvernement ne réduise son champ) et qui devra s’acquitter d’une indemnité de résiliation de 800 millions avec la société Écomouv ! Cette somme laisse songeur quant aux conditions dans lesquelles le contrat a été passé par l’ancienne majorité, surtout quand on sait que la société Écomouv aurait perçu 20% des recettes de l’écotaxe pour les frais de recouvrement de la taxe… Mme Kosciusko-Morizet devrait déposer un brevet pour son invention : un coût de gestion à deux chiffres, du jamais vu ! Pour rappel, celui de la Sécu est de 3%.
Pour compenser le manque-à-gagner fiscal dû à la suspension de l’écotaxe, la ministre de l’Écologie propose de « ponctionner » les profits des sociétés d’autoroute. Double erreur d’analyse ! D’une part, c’est rabaisser l’écotaxe à une logique comptable, celle qui justement lui a été reprochée, en oubliant sa dimension écologique. D’autre part, c’est oublier que les contrats de concession signés entre l’État et les sociétés d’autoroute prévoient le droit pour ces dernières de répercuter toute hausse de leur imposition sur les tarifs pratiqués. En d’autres termes, les automobilistes paieront à la place des sociétés d’autoroute.
Cette proposition a quand même un mérite : rappeler le scandale de la privatisation des autoroutes décidée en 2005 par Dominique de Villepin et qui a été une mauvaise affaire pour l’État comme pour les contribuables. Primo, les autoroutes ont été cédées au prix de 15 Mds d’euros, soit 10 Mds d’euros de moins que leur valeur estimée par le commissaire au plan. Secundo, alors que l’augmentation annuelle des tarifs devait être limitée à 70% de l’inflation, elle a été supérieure à 150% de l’inflation, les sociétés d’autoroute prétextant des travaux d’entretien – comme l’automatisation des guichets qui a surtout servi à augmenter la profitabilité de l’activité en supprimant des emplois. Tertio, les sociétés d’autoroute ont augmenté en priorité les tarifs des axes où le trafic est le plus important alors que ces axes sont très vite amortis. Résultat ? Les sociétés d’autoroute affichent des bénéfices nets records de l’ordre de 20%. Un exemple parmi d’autres : l’activité autoroute de Vinci représente seulement 14% de son chiffre d’affaire mais presque 60% de ses bénéfices.
La privatisation des autoroutes a été une erreur terrible mais pourtant ô combien prévisible. Conférer une rente de situation à des entreprises privées, sans garantie forte que l’intérêt général sera préservé face aux logiques de profits, est contraire à tout bon sens économique. Quand une activité est en situation de monopole naturel (on ne va quand même pas construire trois autoroutes en concurrence sur un même trajet), l’État doit veiller à ce que l’opérateur unique pratique des tarifs égaux à ses couts réels.
Faut-il alors renationaliser les autoroutes ? Cette option ne doit pas être écartée même si l’État n’a aujourd’hui pas les moyens de racheter les concessions compte tenu de son niveau d’endettement. Ce qui est certain, c’est qu’il ne faut plus prolonger les concessions contre de maigres investissements comme le gouvernement en a l’intention. Les sociétés d’autoroute ont assez profité de leurs rentes. L’État doit engager des négociations avec ces sociétés pour que les tarifs pratiqués soient plus proches du cout réel et lèsent moins les utilisateurs.
J’espère que l’échec de l’écotaxe et l’erreur de la privatisation des autoroutes serviront de leçon à l’État lorsqu’il envisage de confier à des acteurs privés la gestion d’un bien public ou d’une recette publique. Souvenons-nous que les privatisations ou les « partenariats public-privé » ne sont pas toujours dans l’intérêt de l’État et des contribuables.
Seule morale de l’histoire : les sociétés d’autoroute tablaient sur une hausse de plusieurs centaines de millions d’euros de leur chiffre d’affaire grâce au transfert d’une partie du trafic des routes nouvellement soumises à l’écotaxe vers leurs infrastructures, c’est raté !