Quelle mouche a piqué Roger Cukierman ? Les propos tenus par le président du Crif au sujet des jeunes musulmans et de Marine Le Pen sont particulièrement irresponsables dans le contexte actuel et je comprends parfaitement le boycott du 30ème dîner du Crif par le CFCM.
Il est faux et dangereux d’affirmer ex cathedra, au prétexte qu’ « il faut dire les choses », que « toutes les violences sont aujourd’hui commises par des jeunes musulmans ». Outre que cette rhétorique péremptoire et volontairement provoquante utilisée à l’envi par les réactionnaires de tout poil (Zemmour, Rioufol…) qui fustigent la « bien-pensance » (sous-entendue de gauche) est très malvenue, le fond du propos est inadmissible. En désignant ainsi, sans nuance aucune, un seul et unique coupable (la jeunesse musulmane, quand bien même ce ne serait qu’une « minorité »), des violences qui déchirent la société française, Roger Cukierman est à la limite voire au-delà de la limite de l’islamophobie et fait, consciemment ou non, le lit de l’extrême-droite en se réappropriant son discours. Alors qu’il est nécessaire d’apaiser les tensions identitaires et religieuses (personne ne nie leur existence), cette déclaration ne peut que les exacerber.
Par ailleurs, après avoir appuyé le discours du FN, définir Marine Le Pen comme « irréprochable personnellement » revient à légitimer plus encore ce parti en accordant à sa présidente une posture politiquement et moralement compatible avec la République. Cette déclaration est difficile à entendre dans la bouche d’un représentant des institutions juives de France quand on connait l’histoire de ce parti. Faire la distinction, comme le fait Roger Cukierman, entre Marine Le Pen et ceux qui sont « derrière » elle (« tous les négationnistes, tous les vichystes, tous les pétainistes ») relève au mieux du défaut d’analyse au pire d’une malhonnêteté intellectuelle. La frange antisémite de l’extrême-droite n’est pas « derrière » Marine Le Pen, comme si elle ne la voyait pas, mais bien avec Marine Le Pen, qui le sait pertinemment et ne fait rien pour s’en détacher tant elle a besoin de son soutien.
Les mots ont un sens et leur choix n’est jamais anodin, ou ne doit jamais l’être. Voilà ce que semble avoir oublié Roger Cukierman. Même s’il est plus ou moins revenu sur ses propos, le mal est fait. Je note également que sa mise au point aurait pu être plus claire. Plutôt que de dire « nous continuerons à ne pas conseiller de voter pour le Front national » j’aurais préféré qu’il dise « nous continuerons à conseiller de ne pas voter pour le Front national ». Le choix des mots, encore une fois, est essentiel.