Depuis la sèche réprimande de Manuel Valls mi-janvier, au président de l’Observatoire de la laïcité, M. Jean-Louis Bianco, la gauche se déchire entre différentes conceptions de la laïcité.
Lors d’une conférence devant les Amis du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le Premier ministre a accusé Monsieur Bianco de « dénaturer la réalité » de la laïcité, critiquant la signature d’une tribune écrite au lendemain des attentats du 13 novembre par le collectif Coexister, car cette dernière avait également été signée par des personnalités réputées proches des Frères Musulmans. La réaction sur Twitter du rapporteur général de l’Observatoire, Nicolas Cadène, après l’interview d’Élisabeth Badinter sur France Inter, a également contribué à faire enfler la polémique, et c’est désormais la gauche toute entière qui s’enflamme sur ce sujet si longuement évité.
Ce sont bien deux tendances historiques qui, depuis la loi de 1905, s’affrontent au sein de la gauche :
- une laïcité stricte, sévère, rigoureuse, finalement très IIIème République, incarnée par la figure d’Émile Combes et reprise ces dernières semaines par le Premier ministre
- une laïcité qui organise la coexistence des religieux et des pensées, ouverte, tolérante, telle que défendue par Clémenceau et par Jean-Louis Bianco aujourd’hui
Je souhaite prendre parti pour la seconde. Comme le clame haut et fort Jean-Louis Bianco depuis des années, la laïcité se résume à deux principes juridiques qui permettent d’organiser la vie en société : la neutralité de l’État à l’égard des cultes, et la liberté de conscience et de religion dont doivent jouir tous les citoyens dans le respect de l’ordre public. Cette définition me parait parfaitement claire. Nous n’avons pas à confondre État laïc et société laïcisée. La laïcité ne peut être le prétexte d’une lutte antireligieuse. L’espace public n’a pas pour vocation d’être neutre. Il est le lieu de la rencontre d’opinions divergentes, foyer même de la démocratie.
De plus, après les attentats de novembre dernier, les élections régionales qui ont suivi, ainsi que le virulent débat sur la déchéance de nationalité des binationaux, il me semble que la priorité soit à l’unité et non pas à la division. Comme l’a si bien dit Bernard Cazeneuve, il ne s’agit non pas de « durcir la laïcité », mais bien de « l’affirmer » ! Pourquoi alors, défendre une vision répressive, et réductrice de cette dernière, contraire à la philosophie des grands penseurs de la loi de séparation ? La laïcité est pourtant un principe déjà profondément ancré dans la mentalité de la majorité des citoyens. Il est donc inutile d’en prôner une forme renforcée, et contre-productif de multiplier les interdits.