La semaine dernière et après un an de travaux, la commission sur les grands défis économiques présidée par Jean Tirole (prix Nobel d’économie) et Olivier Blanchard (ex chef économiste du FMI) a rendu son rapport au président de la République Emmanuel Macron.
Ils y ont identifié trois grands défis à long terme pour l’économie française : le climat, la lutte contre les inégalités et le vieillissement de la population. En partant de ce constat-là, ils ont élaboré plusieurs solutions « systémiques » à mettre en place pour s’assurer d’un prolongement de la croissance française dans les années à venir.
Alors que Le Monde rendait publiques les pistes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en vue de la publication d’un nouveau rapport début 2022 (qui présage des retombées cataclysmiques sur l’espèce humaine si rien n’est fait à l’échelle planétaire), la Commission a présenté la tarification carbone comme mesure inéluctable pour lutter contre le changement climatique. Face au coût très élevé (2,5% du PIB) de la décarbonation en France, il est crucial de trouver des moyens de financer les objectifs climatiques français. Ainsi, ils proposent un prix plancher initial, à partir de 2021, d’environ 60 euros par tonne de CO2 avant de le relever de 4 à 5% par an pour atteindre 190-250 euros par tonne en 2050. Ils précisent toutefois que cette réforme ne peut qu’aboutir si elle est effectuée à l’échelle européenne, en raison du marché commun sur le carbone aux frontières de l’Union. La création d’une Banque centrale européenne du carbone indépendante, chargée par l’UE de gérer les prix conformément aux objectifs de neutralité carbone qu’elle s’est fixée, serait un bon mécanisme pour gérer cela à grande échelle.
Les économistes précisent également que les secteurs exonérés des taxes carbone devront être incorporés dans cette nouvelle taxation afin qu’elle soit efficiente, comme le transport ou le logement.
Ils préconisent enfin, pour faire face au défi climatique, l’instauration d’une taxe additionnelle nationale sur le carbone. L’exemple du Royaume-Uni montre que cette politique peut porter ses fruits : l’Outre-Manche avait décidé, en 2013, de surtaxer de 18 livres la tonne de CO2. Cela avait eu un effet quasi-immédiat puisque la part du charbon dans la production électrique du pays avait chuté de 41% en 2013 à 7% en 2018.
Quant à la lutte contre les inégalités, les économistes prêchent une amélioration du système éducatif français ainsi qu’un ajout aux conditions d’attribution des aides à l’investissement un critère basé sur les engagements de l’entreprise en matière de création d’emplois. Le premier cristallise en effet les inégalités dès le plus jeune âge, alors que les entreprises françaises enregistrent le plus faible taux de transition vers des emplois à durée indéterminée en Europe, avec seulement 12% de CDD qui se transforment en CDI (avec pour effet possible sur le long terme la destruction de la classe moyenne !). Selon les économistes de Harvard qui ont planché spécifiquement sur cette question, il faut « intégrer les questions d’emploi directement dans le régime actuel d’incitations fiscales ».
Autre mesure à laquelle le rapport s’attaque frontalement, la succession - sujet historiquement sensible chez les Français, même les plus précaires. Selon les experts, « le principal problème du système français est qu’il est à courte vue : les donations qui remontent à plus de 15 ans sont oubliées par l’administration fiscale ». Ils préconisent ainsi une réforme d’ampleur : une imposition sur la totalité des transmissions, toutes sources confondues, dont l’héritier a bénéficié de sorte à ce que ceux qui reçoivent davantage soient imposés à des taux plus élevés. Soit une focalisation sur le bénéficiaire pour établir le barème fiscal, plus que sur l’acte de succession. Ils demandent aussi de mettre fin à certaines exonérations qui permettent de soustraire le patrimoine à l’imposition, notamment l’assurance-vie, ainsi que de plafonner les exonérations importantes touchant la transmission des très grandes entreprises détenues par les familles aisées.
Dernièrement, lors des accords commerciaux que la France passe avec les pays étrangers, le rapport propose l’inclusion dans la définition du dumping social le travail d’enfants, le travail forcé ainsi que la violation des droits des travailleurs.
Enfin, pour pallier les effets néfastes du vieillissement de la population, la commission de Jean Tirole et Olivier Blanchard juge la réforme des retraites du Gouvernement Philippe comme un bon « point de départ », auquel elle propose toutefois quelques améliorations. Leur réforme des retraites garderait le système à point, où chaque euro cotisé rapporte les mêmes droits à chacun. Les économistes souhaiteraient toutefois accroître la redistributivité des retraites, en donnant des points supplémentaires aux travailleurs faisant part des 40% des salaires les plus faibles. Cela me semble être un bon compromis. Ils aimeraient aussi que soit substitué à l’âge unique de départ de 62 ans une « fenêtre de départ », en conservant les 62 ans, mais en créant des incitations beaucoup plus fortes pour les personnes partant en retraite à 64 ans.
Il est clair qu’aucune de ces mesures ne pourra être mise en place avant 2022. Elles nécessitent toutes un large débat national, et les présidentielles pourraient être une bonne plateforme pour discuter de celles-ci.