Le sommet de Bruxelles a accouché le 23 juin d’un « traité modificatif » amendant les différents traités européens, sonnant le glas du Projet de Constitution.
Certains s’en réjouissent, pensant que l’épine du traité constitutionnel qui empoisonnait les relations européennes mais aussi les vies politiques nationales depuis les referendums français et néerlandais sera retirée de nos pieds douloureux.
Rien de bien grave n’aurait été remis en cause par rapport à ce projet : la partie institutionnelle est à peu près intacte (un président pour 30 mois, un Haut Représentant, un rôle accru pour les parlements nationaux). Les politiques communes ont été renvoyées là où elles appartiennent, c'est-à-dire dans leurs traités respectifs, et cette IIIème partie si honnie (à tort et par ignorance) supprimée.
Pour eux, il n’est pas très grave que nous ne chantions plus l’Hymne à la Joie (« Joie, tes charmes relient ce que l’épée sépare, les mendiants fraterniseront avec les princes »), que nous rangions au placard le drapeau aux douze étoiles. On peut vivre avec un système de vote à géométrie variable, et sans Charte sociale !
Sans doute ont-ils raison, du moins pour le court terme. L’Europe pourra désormais s’occuper d’autre chose : la réforme de la politique agricole, l’union monétaire et économique, une action commune pour le Moyen-Orient, … A cet égard, Angela Merkel a montré qu’elle était une négociatrice de première force. La présidence allemande a rempli avec succès son mandat, confirmant son importance dans la constellation européenne. Nicolas Sarkozy y a participé de manière active, relançant le moteur franco-allemand en panne depuis plusieurs années. Il prépare ainsi une présidence française plus libérée pour la seconde moitié de 2008.
Je comprends ces arguments en faveur du texte, mais ils ne sauraient en compenser le recul sur les symboles et dans le domaine du social. Les symboles, ce n’est pas rien. La Marseillaise, le drapeau tricolore sont l’expression de l’unité nationale. Supprimer l’Hymne à la Joie, le drapeau bleu aux 12 étoiles, c’est un message clair : on ne veut pas d’Europe politique. Quant au social, le détricotage est achevé : la Charte des droits fondamentaux ne figurera plus dans les traités et devient une référence vague. C’est un pas en arrière pour la sécurité sociale, le droit pénal et le droit de la famille.
On aboutit ainsi à un traité à la carte où chacun obtient ce qui lui plait - les Anglais sont dispensés du social, les Polonais peuvent garder les règles de vote. Le message est simple : chacun pour soi, pas de politiques communes autres que pour le marché libre. Est-ce ce que souhaitaient les partisans du Non ? Le plan B dont ils menaçaient les tenant du Oui se révèle être l’enterrement de la Charte sociale et de toute Constitution…
Le 23 juin aura été une victoire pour les Anglais et les Américains, et la défaite des pays fondateurs de l’Europe. Car la vraie justification de l’Europe, après la paix, c’est de nous permettre de jouer un rôle important dans le monde, de créer le seul contrepouvoir à l’hégémonie américaine, de ne plus être le chihuahua de Bush, de promouvoir nos valeurs sociales et politiques.
Qu’on ne me demande pas d’approuver le naufrage de l’Europe !