Les ministres de l’emploi de l’Union européenne se sont mis d’accord lundi 9 décembre pour renforcer les règles relatives au détachement transnational des travailleurs.
Je salue le rôle prépondérant joué par Michel Sapin qui a su arracher un texte en tout point conforme aux exigences fixées par la France malgré les réticences initiales de plusieurs de nos partenaires. Contrairement aux rumeurs qui circulaient dans les semaines précédant cet accord, la voix de la France a pesé dans les négociations européennes puisqu’elle a finalement été entendue.
Pour rappel, le détachement des travailleurs, permis par le Traité de Rome à travers le principe de libre circulation, est déjà encadré par la directive 96/71/CE qui a notamment imposé le respect des dispositions du pays d’accueil s’agissant d’un socle minimal de droits sociaux. Ainsi, un travailleur étranger détaché en France bénéficie des mêmes règles relatives au temps de travail, aux congés payés, au salaire minimal, aux conditions de santé et de sécurité au travail… Seules les charges sociales sont payées dans le pays d’origine afin que l’employé demeure affilié au même régime de sécurité sociale.
L’enjeu de cette directive communautaire est double : d’une part, elle garantit à tout travailleur sur le sol français les mêmes protections sociales, d’autre part, elle limite la concurrence déloyale qui pourrait pénaliser les entreprises françaises si des travailleurs détachés étaient employés en France par une entreprise étrangère dans les conditions en vigueur dans leur pays d’origine. Chacun sait pourtant que ces règles sont trop souvent contournées. Ainsi, le ministère du travail estime que la moitié des travailleurs détachés en France ne seraient pas déclarés (150.000 le sont). En outre, les employeurs respectent rarement les conditions de travail fixées par la législation française. Enfin, l’utilisation de sociétés-écrans ou « boites aux lettres » permet à des entreprises de s’exonérer des charges sociales françaises à travers une domiciliation fictive dans un pays étranger, créant par là des situations de dumping social.
L’objectif de l’accord trouvé à Bruxelles est de lutter efficacement contre toutes ces pratiques abusives. Il contient notamment quatre avancées essentielles :
- Une coopération renforcée : sur la base d’une définition commune du travail détaché, les États de l’Union s’engagent à fournir toutes les informations permettant de remonter les cascades de sous-traitants et d’identifier les sociétés frauduleuses. Des accords bilatéraux pourront être signés pour surmonter les difficultés administratives du contrôle (barrière de la langue, éloignement géographique, montages juridiques...).
- Des contrôles plus efficaces : la liste des documents exigibles en cas de contrôle sera une liste ouverte fixée par chaque pays, ce qui permettra à la France de procéder à des contrôles plus poussés. Par ailleurs, les documents pourront être exigés des travailleurs détachés eux-mêmes et non plus seulement des entreprises.
- Une responsabilisation accrue des donneurs d’ordre : les donneurs d’ordre seront tenus solidairement responsables des agissements frauduleux de leurs sous-traitants, ce qui les incitera à vérifier leurs pratiques et non se défausser sur la chaîne de sous-traitance.
- Des sanctions applicables dans toute l’Europe : les amendes des entreprises étrangères condamnées en France pourront être recouvrées en France comme dans le pays d’origine.
Dans l’attente que ce texte soit adopté par le Parlement européen, le gouvernement a déjà engagé des actions contre les pratiques abusives. La lutte contre les fraudes au détachement figure ainsi parmi les cinq priorités du Plan national contre le travail illégal présenté par le Premier ministre le 27 novembre 2012. Plusieurs condamnations ont déjà eu lieu depuis, signe que les contrôles renforcés ont porté leur fruit.
Pour terminer, je voudrais répondre à ceux qui ont récemment appelé à l’abrogation totale de la directive européenne sur le détachement des travailleurs. Ce serait une double erreur. Premièrement, le détachement des travailleurs est permis par le Traité de Rome mais encadré par la directive de 1996. Abroger cette directive reviendrait tout simplement à supprimer les règles qui limitent les excès d’une trop grande libéralisation, et en premier lieu la règle qui impose la législation du travail du pays d’accueil. Deuxièmement, n’oublions pas que le travail détaché profite aussi aux travailleurs français qui sont plus nombreux à l’étranger que ne le sont les travailleurs étrangers détachés en France. Bien encadré, le détachement transnational des travailleurs est donc un acquis communautaire formidable.
Dans l’attente d’une harmonisation sociale en Europe dont l’instauration d’un salaire minimum en Allemagne est un signe encourageant, l’accord sur le détachement des travailleurs est une bonne nouvelle pour la préservation de notre modèle social et la garantie des protections de tous les travailleurs en France.