La semaine a commencé sur une bien triste note : l’adoption par la Suisse du référendum « contre l’immigration de masse » (sic) proposé à l’initiative de l’UDC, parti de la droite populiste qui s’était déjà illustré en 2009 en faisant interdire la construction de minarets, est un coup dur pour l’Europe, pour la France, et pour la Suisse.
Le résultat de cette votation populaire est troublant à bien des égards. La Suisse est traditionnellement un pays qui accueille de nombreux travailleurs étrangers, souvent hautement qualifiés, qui exercent aussi bien en indépendants qu’au sein d’entreprises suisses très demandeuses de main d’œuvre étrangère tant l’offre locale est insuffisante pour faire tourner l’économie du pays. Avec un chômage de 3,5%, la Suisse est en situation de plein emploi et serait même en capacité d’absorber une offre de travail plus grande. Loin d’être une menace pour la Suisse, les travailleurs étrangers sont donc les alliés précieux d’une économie robuste qui a résisté à la crise.
En regardant la carte du vote, on constate par ailleurs que ce sont dans les régions les moins touchées par l’immigration que s’exprime un plus grand rejet des étrangers. Le résultat du vote est donc l’expression d’un repli identitaire fondé sur la peur bien plus que sur la raison. Il ne faut pas sous-estimer cette dimension inquiétante ni relativiser le résultat du scrutin. Si le vote fut serré (50,3%), son résultat n’en est pas moins incontestable et définitif. Il repose en outre sur une participation supérieure de 12 points à la moyenne enregistrée pour ce type d’initiative. Ne cherchons donc pas à nous rassurer mais tirons toutes les conséquences de ce vote.
On pourrait être tenté de dire qu’après tout, si les Suisses veulent se lier les mains en condamnant leur économie à la stagnation, ce ne sont pas nos affaires. Ce n’est pas ma vision pour au moins trois raisons. Premièrement, la situation des 100.000 français installés en Suisse et des transfrontaliers qui y travaillent est en jeu. Quel sera pour eux l’effet de la réintroduction de quota d’ici trois ans ? Ensuite, en s’engageant sur la voie d’une immigration contrôlée, la Suisse rompra nécessairement l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE, ses autres engagements avec l’UE tombant alors du même coup. Enfin, l’exemple suisse risque d’inspirer des velléités similaires dans d’autres pays européens comme en Grande-Bretagne déjà tentée par le repli.
Notre réaction doit donc être à la hauteur des enjeux. Il nous faut rappeler à la Suisse ses engagements internationaux, européens et bilatéraux. Au-delà des travailleurs immigrés, ce sont aussi le droit d’asile et le regroupement familial qui sont ici en cause, sans parler des échanges universitaires. La Suisse, qui est membre des accords Schengen, ne peut échapper à ses responsabilités. Elle ne peut profiter des avantages de ses relations avec l’UE où elle réalise 60% de son commerce extérieur et lui tourner le dos quand cela l’arrange. Cette remarque vaudrait d’ailleurs aussi pour le Royaume-Uni… Nous devrons donc faire preuve d’intransigeance, d’autant plus que nos moyens de pression sont réels. Conventions fiscales, successorales, secret bancaire : la Suisse a beaucoup à perdre dans des renégociations.