Au large des côtes italiennes, les saisons se suivent et se ressemblent tristement. L’été qui s’achève fut particulièrement meurtrier. Plusieurs embarcations transportant des migrants ont fait naufrage dans l’indifférence quasi générale. Depuis le début de l’année, au moins 2.000 personnes auraient perdu la vie en tentant de rejoindre la péninsule depuis l’Afrique du Nord ! Un décompte macabre en très nette hausse par rapport à l’année 2013, au cours de laquelle 700 migrants avaient trouvé la mort dans cette zone de la Méditerranée, qui est devenue un vaste cimetière.
Débordée face à ces drames humains à répétition, l’Italie a lancé un appel à l’aide auquel la Commission européenne vient enfin de répondre, après de longues tergiversations. Il y a quelques jours, la commissaire aux affaires intérieures, Cecilia MALMSTRÖM, a annoncé le lancement d’une nouvelle opération en Méditerranée afin d’aider l’Italie à faire face à l’afflux de migrants. Dénommée « Frontex Plus », elle doit se substituer, à partir du mois de novembre, au dispositif humanitaire « Mare Nostrum », que Rome avait mis en place suite à la catastrophe de Lampedusa d’octobre 2013 et qui a permis de secourir en mer environ 120.000 migrants depuis janvier.
Il faut saluer la décision de l’exécutif européen tout en rappelant que le succès de « Frontex Plus » dépendra notamment des moyens financiers qui lui seront alloués par les États membres. Les choses s’annoncent mal car, pour le moment, seule la France a pris l’engagement de contribuer au renforcement de Frontex, dont le budget est ridiculement bas (90 millions d’euros par an). Les autres États membres continuent de faire la sourde oreille, manquant ainsi à leurs devoirs de solidarité et de responsabilité.
Par ailleurs, on peut légitimement s’interroger sur le mandat de Frontex. Contrairement au dispositif aéronaval italien, cette agence – symbole de l’» Europe forteresse » – est chargée de la lutte contre l’immigration irrégulière, et non du sauvetage en mer. À mon sens, la mission de « Frontex Plus » ne doit absolument pas se résumer à la surveillance de la frontière maritime méridionale de l’Union. L’hyper-sécurisation de cette dernière serait en effet inefficace et contre-productive. Ma collègue Claudine LEPAGE et moi-même avons pu nous en rendre compte lors de notre récent déplacement à Tanger et Ceuta : le renforcement du contrôle d’une zone frontalière a pour effet de pousser les migrants à emprunter d’autres voies d’accès, souvent plus dangereuses.
L’assistance aux migrants en détresse doit être la priorité numéro un, et cela d’autant plus que la crise qui secoue actuellement la Libye fait craindre de nouveaux drames humanitaires. D’aucuns affirment que le fait de venir en aide aux migrants tombés à la mer crée un appel d’air. Un tel point de vue heurte ma sensibilité humaniste. Les États membres ont le devoir de sauver des vies en vertu de leurs obligations internationales. Il s’agit de surcroît d’un faux débat car d’autres motifs, bien plus importants, poussent les migrants à quitter leurs racines et à prendre le chemin de l’Europe (guerres civiles, persécutions, chômage, etc.).
L’élaboration d’une politique migratoire commune rompant avec le « tout sécuritaire » constitue la deuxième priorité. C’est dans le cadre d’une approche globale des questions liées aux migrations que pourront être relevés les nombreux défis auxquels fait face l’UE (définition d’une politique européenne des migrations légales, réinstallation des réfugiés, renforcement de la coopération avec les pays tiers, amélioration de la lutte contre les passeurs, etc.). À cet égard, l’engagement pris par le nouveau président de la Commission européenne de créer un poste de « commissaire chargé de la migration » va dans le bon sens. Jean-Claude JUNCKER doit désormais passer des paroles aux actes en nommant une personnalité maîtrisant parfaitement ce dossier.