Tout le monde souligne l’importance de l’amitié entre la France et l’Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La relation unique entre nos deux pays, née de l’entente entre le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer, n’a cessé de se renforcer sous l’impulsion renouvelée de Valery Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, puis de François Mitterrand et Helmut Kohl. La réunification de l’Allemagne après la chute du mur et la création de l’euro plongent leurs racines dans cette histoire partagée.
Les couples dirigeants dans la période plus récente n’ont plus cette force et cette énergie communes : question de personne sans doute mais aussi conséquence de l’éloignement de la guerre, du « plus jamais ça », et d’une certaine prospérité retrouvée. En Allemagne, avec Gerhard Schröder, la première génération post-guerre est arrivée aux responsabilités et se sent, à juste titre certainement, moins comptable devant l’Histoire de la catastrophe nazie.
Ces dernières années, dominées côté allemand depuis 2005 par Angela Merkel, la relation entre nos deux pays s’est semble-t-il quelque peu distendue. Je crois que c’est inévitable, 70 ans après la guerre. Il est temps de passer d’une relation basée sur des sentiments, certes nobles, à une relation construite sur la raison et l’intérêt bien compris.
Le premier acte de cette nouvelle relation, basée sur un respect mutuel et une exigence réciproque, doit être d’engager un dialogue puissant entre nos deux pays sur l’orientation et l’avenir de l’Europe. Nous devons pour cela dire à nos amis allemands qu’ils doivent se montrer plus attentifs aux autres.
Être spectateur non engagé des grands conflits n’est pas à la hauteur d’un grand pays, même si l’on comprend le désir de l’Allemagne de ne pas être le gendarme de l’Europe et du monde. Ne pas investir dans la défense et la sécurité ne permet pas à l’Allemagne de parler à la table des Grands. C’est la France qui prend ses responsabilités dans ce domaine et en supporte seule le cout pour un gain collectif.
Une politique économique dont le moteur est l’exportation, en particulier vers les autres pays de l’Union, mérite d’être compensée par une action sur la demande intérieure et sur les investissements publics en panne depuis de nombreuses années outre-rhin. C’était d’ailleurs un des sujets de la récente rencontre entre Michel Sapin et Wolfgang Schäuble.
Imposer ses vues sur la gestion monétaire de la BCE n’est guère efficace comme le montre la pratique. S’opposer à la possibilité pour la BCE de racheter de la dette publique, même sur le deuxième marché, c’est faire l’inverse de ce que font toutes les autres banques centrales. Rêver d’une inflation aussi basse que possible alors que les Traités fixent clairement une limite à 2% dont nous sommes loin, c’est prendre le risque de provoquer une déflation.
Vouloir donner comme modèle à l’Europe celui de la gestion libérale n’est pas de nature à offrir une perspective rassurante aux peuples européens. Faire de la concurrence l’alpha et l’oméga de la construction européenne, au mépris des traditions nationales de solidarité et de service public, c’est condamner l’Europe à devenir le bouc émissaire des échecs économiques et sociaux nationaux.
Voilà bien des domaines où la France doit assumer ses désaccords avec l’Allemagne pour trouver un compromis conforme aux intérêts du plus grand nombre de pays et de citoyens européens. Mais cette discussion ne sera possible que si la France retrouve dans le même temps sa crédibilité. Faute d’avoir préalablement négocié une trajectoire réaliste et proportionnée de retour à l’équilibre de ses finances publiques, la France s’est retrouvée dans la posture du mauvais élève qui ne tient pas sa parole. Il est temps que la France fasse le deuil de la règle des 3% dans l’immédiat sans renoncer aux réformes indispensables à la compétitivité de son économie. Cette approche, qui est celle retenue par le nouveau ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, est la seule qui nous permettra de retrouver une influence politique et économique au sein de l’Union, en particulier vis-à-vis de l’Allemagne.