La Commission européenne a accusé ce mercredi 15 avril 2015 l’entreprise Google d’abus de position dominante.
Après avoir mené une enquête poussée de 5 ans, suite aux plaintes de nombreux acteurs d’Internet, dont la Fédération française des télécoms, la Commission pense avoir rassemblé assez d’éléments indiquant que la firme américaine, qui détient 92% des parts de marché sur le segment de la recherche Web en Europe, a enfreint les règles européennes antitrust en favorisant, dans ses résultats de recherche, ses propres services de comparaison de prix et d’achat au détriment de ceux des entreprises concurrentes. L’accusation est grave : si le groupe américain ne parvient pas à convaincre la Commission de la légalité de ses pratiques, il s’expose, à défaut d’un accord à l’amiable, à une amende pouvant atteindre 10% de son chiffre d’affaire mondial (66 Mds en 2014).
Les accusations lancées par la Commission font suite à une procédure similaire aux États-Unis où la Federal Trade Commission a finalement blanchi Google mais dans des conditions suspectes (le dossier a été classé malgré les recommandations des experts visant à engager des poursuites) qui ont poussé le Sénat américain à lancer une enquête. Par ailleurs, la Commission a également décidé d’ouvrir une nouvelle enquête relative au système d’exploitation pour téléphone portable de Google, « Android », qui aurait été vendu aux fabricants de téléphone dans des conditions qui favorisent ou forcent à l’installation d’applications et services développés par Google au détriment de ceux de ses concurrents.
Je note avec satisfaction que le Sénat a entendu peser dans la lutte contre la position hégémonique de Google, qui empêche le développement d’autres entreprises, en adoptant hier à l’unanimité, lors de l’examen du projet de loi Macron, un amendement visant à contraindre les exploitants de moteurs de recherche à mettre à disposition de l’utilisateur, sur la page d’accueil, un moyen de consulter au moins trois autres moteurs de recherche sans lien juridique avec lui ainsi que des informations relatives à ses méthodes de classement et de référencement.
Au-delà des pratiques anticoncurrentielles dénoncées par ses concurrents et par la Commission, Google est depuis plusieurs années attaqué sur d’autres pratiques tout aussi préoccupantes.
En matière de traitement des données personnelles, la CNIL mène une bataille pour forcer le géant informatique à être plus transparent sur l’utilisation qu’il en fait. Elle l’a condamné l’an dernier à une amende de 150.000 euros pour refus de rendre conforme au droit français sa politique de confidentialité jugée peu claire. L’UE étudie en outre la notion de territorialité des données afin de faire en sorte que les données d’un citoyen français relèvent de la loi française, même si les serveurs qui les abritent sont à l’étranger.
Google est aussi confronté à l’épineuse question des droits d’auteurs. Les éditeurs de presse lui reprochent de ne pas leur payer des droits pour indexer leur contenu : ils réclament donc que les moteurs de recherche soient obligés de rémunérer les médias dont ils reproduisent le contenu. Cette « taxe google » n’a pas été appliquée en France où les négociations ont finalement abouti à la création par Google d’un fonds d’innovation numérique de la presse de 60 millions d’euros, mais elle a été votée en Espagne (où les décrets d’application se font attendre) et en Allemagne (où Google refuse de payer et a saisi la justice). Par ailleurs, Google oblige les entreprises à acheter une seconde fois leur propre marque en rendant obligatoire l’achat d’un « Google Ad » pour être référencé.
Enfin, Google, qui a installé son siège européen en Irlande, où l’impôt sur les sociétés est de 12,5% seulement, est accusé d’optimisation fiscale par la plupart des pays européens qui veulent contraindre l’entreprise américaine à payer les impôts et taxes dans le pays où elle réalise effectivement son chiffre d’affaire. Une directive européenne prévoit déjà que la TVA payée sur l’achat d’un film ou d’une chanson soit payée dans le pays de l’acheteur. La notion de territorialité doit encore être explorée pour étendre cette obligation à toutes les activités immatérielles ayant lieu sur un territoire déterminé.
Sur tous ces sujets, on voit bien que, face à une multinationale qui contourne les législations nationales, il faut que tous les États européens coopèrent pour défendre ensemble leurs intérêts et ceux de leurs citoyens. En ce sens, la procédure lancée par la Commission européenne est une bonne nouvelle.