Le dialogue social allemand, dont on a pris l’habitude de vanter les mérites – souvent pour souligner par contraste l’immaturité des partenaires sociaux en France – semble avoir du plomb dans l’aile.
Les conducteurs de la Deutsche Bahn ont entamé ce lundi 4 mai 2015 leur huitième grève depuis le mois de juillet. Prévu pour durer jusqu’à dimanche, ce mouvement serait le plus long de l’histoire de la compagnie ferroviaire publique. Le patronat allemand est hors de lui et dénonce une perte de plusieurs centaines de millions d’euros pour l’économie due notamment aux retards de livraison pour certaines industries. Signe que rien ne va plus, Frau Merkel est sortie de la réserve traditionnellement observée par les politiques dans la gestion des négociations sociales en Allemagne pour appeler à une sortie de crise rapide.
Le conflit social à la Deutsche Bahn n’est pas isolé. Depuis quelques mois, les mouvements sociaux se multiplient dans les jardins d’enfants, les écoles, le secteur aérien, à la Deutsche Post ou encore chez Amazon. En quatre ans, le nombre de jours de grève a été multiplié par six d’après l’Agence fédérale pour l’emploi. Cette tendance à la radicalisation des conflits sociaux dans un pays pourtant réputé pour le pragmatisme de ses syndicats est liée à deux facteurs fondamentaux.
Premièrement, le mouvement de privatisation qui a commencé dans les années 1990 et que l’actuel gouvernement veut amplifier (il a toutefois dû reculer sur la Deutsche Bahn) a eu un double effet sur la négociation collective. D’une part, la privatisation de grands services publics comme l’hôpital a entrainé un éclatement des structures privées qui doivent mener leurs propres négociations alors qu’une seule convention collective couvrait autrefois l’ensemble des salariés du secteur. D’autre part, le passage sous statut de droit privé d’un grand nombre d’agents publics a ouvert à ces derniers le droit de grève dont les fonctionnaires allemands sont dépourvus. Au final, les privatisations ont ainsi accru le pouvoir des syndicats.
Deuxièmement, alors que l’Allemagne a retrouvé une bonne santé économique, les revendications des syndicats se font de plus en plus pressantes. Il faut en effet rappeler que si l’Allemagne a surmonté la crise économique mieux que ses voisins européens, c’est en grande partie grâce à la flexibilité interne de ses entreprises : les salariés allemands ont accepté pendant plusieurs mois les mécanismes de chômage partiel ou de réduction de salaires en contrepartie de leur maintien dans l’emploi. Et cela alors même que l’Allemagne s’était déjà engagée, depuis le début des années 2000, sur la voie de la modération salariale afin de renforcer la compétitivité de ses entreprises. Mais maintenant que la crise est passée, les salariés réclament une juste revalorisation de leur salaire afin de partager les fruits de la croissance. Par ailleurs, la récente mise en place d’un salaire minimum a mécaniquement accru les exigences salariales des personnes qui étaient jusque-là payées à un niveau légèrement supérieur au nouveau smic.
Paradoxalement, la multiplication des conflits sociaux outre-rhin est donc plutôt le signe de la bonne santé économique du pays : les salariés engagent un rapport de force pour obtenir la part de la richesse créée qui leur revient. Le dialogue social allemand qui a été efficace en période de crise pour répartir les efforts le sera-t-il autant en période de prospérité pour répartir les richesses ? Nous aurons la réponse dans les mois qui viennent.