Une importante tribune européenne sur l’urgence de rétablir la libre circulation des personnes dans l’Europe de l’après-Covid, que j’ai cosignée avec plusieurs responsables d’associations nationales d’expatriés et de diasporas, par des parlementaires représentant leurs concitoyens à l’étranger, et par l’ancien député français Pierre-Yves Le Borgn’, qui préside la confédération « Les Européens dans le Monde ».
Présidents d’associations, parlementaires, citoyens et militants de la cause européenne, nous avons en commun une vie construite sur plusieurs pays de l’Union européenne. La libre circulation des personnes, le libre établissement dans un autre pays de l’Union que le nôtre, c’est notre expérience, c’est notre histoire. Pour étudier, pour travailler, pour couler une retraite, nous avons quitté un pays pour nous installer dans un autre. Certains d’entre nous sont nés aussi dans un autre pays que celui dont ils ont la nationalité. Nos familles sont plurinationales, nos enfants et nos petits-enfants ont souvent une double ou triple nationalité. Nos destins personnels ont épousé les progrès de la construction européenne. L’Europe est pour nous un espace unique, un espace de liberté et de mobilité. C’est un acquis immense.
Au mois de mars, la pandémie de Covid-19 a mis l’Europe et l’économie à l’arrêt. Non seulement les frontières externes de l’Union européenne ont fermé, mais nombre de frontières internes aussi. Là où l’on aurait pu imaginer que l’Europe serait forte des solidarités de fait construites au cours de ses 70 ans d’existence, elle s’est avérée faible. Le repli national a prévalu, souvent dans le plus grand désordre. Migrants européens, nous avons pu en faire l’amère expérience. Des couples vivant entre deux pays ont été séparés. Des enfants n’ont pu voir l’un de leurs parents depuis la fermeture des frontières internes. Il en est de même de parents âgés et d’adultes handicapés, privés de la visite de leurs familles établies dans un autre pays. Des étudiants étrangers ont été abandonnées et n’ont pu rentrer chez eux. Des travailleurs saisonniers et demandeurs d’emploi ont été privés de revenus et exposés à la précarité. Les travailleurs frontaliers ont également souffert.
Il n’existe pas encore une réelle Europe de la santé et il faudra que ce soit le cas. Mais il existe une Europe de la mobilité qu’il ne faut aucunement sacrifier. Or, si la libre circulation des biens a repris après la phase la plus vive de la pandémie, il n’en est pas de même de la libre circulation des personnes. Des frontières internes restent fermées et là où elles ne le sont pas, les restrictions de passage et contrôles imposés constituent de puissants freins à la mobilité. Cette situation pose la question de l’avenir même de l’espace Schengen car l’on voit se développer des discussions bilatérales entre Etats, au risque de fragmenter fatalement l’espace européen de mobilité. Il est impératif pour l’Union européenne de réagir. La libre circulation des personnes ne peut après le Covid-19 devenir le parent pauvre du projet européen.
Nous en appelons à la Commission européenne, aux Etats membres et au Parlement européen pour que la restauration de l’intégrité de l’espace Schengen figure au rang de priorité absolue de l’Union européenne. Il n’est pas acceptable qu’en son sein, des pays – sous couvert de situations sanitaires différentes – décident de qui ils acceptent et de facto de qui ils rejettent. La libre circulation des personnes ne se résume pas à des flux de touristes mais d’abord et avant tout à des réalités familiales de vies outre-frontières que nous connaissons, tout simplement parce que ce sont les nôtres. Au sein de nos associations ou dans le cadre de nos mandats, nous avons aidé ces derniers mois de nombreuses personnes en détresse en raison de cette situation. Nous avons pu à leur contact mesurer combien le repli national pouvait être source d’injustices.
Notre expérience nous autorise à témoigner. Nous le devons même, car il faut agir. C’est le sens de cette tribune collective. Ce qui se joue désormais est tout sauf anodin. Il y a dans l’Union plus de 18 millions d’Européens qui vivent dans un autre pays que celui dont ils ont la nationalité. Voilà 25 ans qu’existe l’espace Schengen. Il est certes imparfait et requiert bien des réformes, mais la liberté de circulation sur laquelle il est fondé est le plus grand atout et l’une des plus grandes réussites de l’Europe. Ne laissons pas la pandémie, les peurs et sans doute aussi certains débats politiques nationaux le mettre à mal. Derrière les chiffres et les frontières, au-delà des débats, par-delà les querelles, il y a des existences et des destins par millions. Cette réalité-là oblige l’Europe. Retrouvons vite la pleine et libre circulation des personnes!
Signataires :
Pierre-Yves Le Borgn’, président de Europeans Throughout The World
François Barry Delongchamps, Président de l’Union des Français de l’étranger
Viorel-Riceard Badea, Sénateur des Roumains de l’étranger et Président de la Commission pour les communautés roumaines de l’étranger
Christian Bauwens, Président de l’Union Francophone des Belges à l’étranger
Eddy Bonne, Président de Vlamingden in de Wereld
Samantha Cazebonne, Députée des Français de la Péninsule ibérique et de Monaco
Laura Gavarini, Sénatrice des Italiens de l’étranger
Alvaro Gil-Robles, ancien Défenseur du Peuple espagnol, ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
Carlos Alberto Gonçalves, député des Portugais d’Europe
Eelco Keij, Président de la Foundation for the Dutch outside of the Netherlands
Nicholas Newman, Président de l’Association for the Rights of Britons Abroad
Claudine Lepage, Présidente de « Français du Monde »
Franklin Mamo, Président of Maltin fil-Belgiu
Michele Nicoletti, ancien Président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et professeur à l’Université de Trento
Elina Pinto, Présidente de European Latvian Association
Paulo Pisco, Député des Portugais d’Europe
Anna Rurka, Présidente de la Conférence des organisations internationales non-gouvernementales du Conseil de l’Europe
Louise Svandberg, Présidente de Swedes Worldwide
Tony Venables, fondateur de la ECIT-Foundation for European Citizenship
Richard Yung, Sénateur des Français établis hors de France