Le marathon budgétaire s’est achevé le 22 décembre avec l’adoption définitive, par l’Assemblée nationale, du projet de loi de finances rectificative pour 2016.
Plus communément appelé « collectif budgétaire », ce texte a été discuté, en première lecture, par le Sénat du 15 au 17 décembre. Le groupe socialiste et républicain s’était alors abstenu, les sénateurs LR et UDI ayant supprimé plusieurs articles importants, dont celui autorisant la ratification d’un avenant à la convention fiscale franco-portugaise. Lors de la nouvelle lecture, le 21 décembre, la majorité sénatoriale a rejeté le projet de loi en adoptant une motion tendant à opposer la question préalable.
Afin de tenir compte des « chocs exceptionnels et temporaires subis » au printemps et à l'été derniers (grèves, attentats, mauvaises récoltes), le Gouvernement a révisé légèrement à la baisse sa prévision de croissance pour 2016 (1,4% du PIB au lieu de 1,5%). Jugée « atteignable » par le Haut conseil des finances publiques (HCFP), cette révision ne remet pas en cause la dynamique de reprise observée depuis 2015 (progression de l’investissement, de la consommation et de l’emploi). Elle n’entraîne pas non plus de modification de la cible de déficit public pour 2016, qui est maintenue à 3,3% du PIB (prévision jugée « réaliste » par le HCFP). Pour ce qui concerne 2017, le Gouvernement a maintenu les hypothèses de croissance (1,5%) et de déficit (2,7%) sur lesquelles a été établi le projet de loi de finances.
Grâce à la maîtrise de la dépense et à un recouvrement des recettes en phase avec les prévisions initiales, le solde budgétaire de l’État est en amélioration de 2,4 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2016. Cette année, le déficit devrait finalement s’établir à 69,9 milliards d’euros, contre 70,5 milliards d’euros en 2015.
Le collectif budgétaire dégage les économies nécessaires au financement des dépenses non prévues par la loi de finances initiale pour 2016 (priorités nouvelles, aléas et dépenses ne pouvant pas être prévues de manière suffisamment précise en début d’année): plan d’urgence pour l’emploi ; plan de soutien exceptionnel aux agriculteurs ; mesures en faveur des jeunes (garantie jeunes, bourses de l’enseignement supérieur) ; augmentation du point d’indice de la fonction publique ; création d’un fonds d’urgence pour les départements en difficulté ; surcoûts résultant des opérations extérieures et intérieures du ministère de la défense ; montée en charge plus rapide que prévu de la prime d’activité ; augmentation du nombre de bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ; etc.
Concrètement, les ouvertures de crédits (4,5 milliards d’euros) sont compensées par des annulations de crédits (portant essentiellement sur la réserve de précaution et la charge de la dette), une révision à la baisse des prélèvements sur recettes (grâce notamment à une sous-exécution du budget de l’UE en 2016) et des prélèvements sur les trésoreries excédentaires d’opérateurs.
En sus de ces redéploiements, le projet de loi prévoit plusieurs opérations budgétairement neutres, dont une ouverture de crédits de 2,4 milliards d’euros dans le cadre de la recapitalisation de l’Agence française de développement (conversion de prêts de long terme de l’État à l’AFD en fonds propres de cet établissement public).
Le collectif budgétaire comprend de nombreuses dispositions fiscales.
Nombre d’entre elles concernent la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales. Depuis 2012, pas moins de 70 mesures ont été adoptées, ce qui a permis une forte hausse du montant des droits et pénalités redressés (21,2 milliards d’euros en 2015 contre 16 milliards d’euros par an en moyenne durant le quinquennat Sarkozy-Fillon) et des sommes encaissées (12,2 milliards d’euros en 2015).
Afin de prolonger son action en la matière, le Gouvernement souhaite renforcer l’efficacité du contrôle fiscal tout en garantissant une plus grande prévisibilité pour les contribuables. Dans cette perspective, deux nouvelles procédures, moins intrusives, pourront être mises en œuvre: un contrôle ciblé à partir de la comptabilité dématérialisée des entreprises, depuis les locaux de la direction générale des finances publiques (DGFIP) ; un contrôle spécifique – sur place – des remboursements de crédits de TVA (vecteur important de fraude).
D’autres dispositions importantes sont prévues, dont :
- la création d’une procédure spécifique de contrôle des documents délivrés par les associations pour ouvrir droit aux avantages fiscaux sur les dons ;
- la simplification du droit de visite et de saisie ;
- la possibilité, pour l’administration fiscale, d’entendre des témoins de fraude fiscale internationale ;
- la possibilité, pour les contribuables, d’être entendus par les douanes en cas de contrôle.
Par ailleurs, soucieux de lutter contre les abus relatifs à l’exonération d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), le Gouvernement a clarifié la notion de bien professionnel. Désormais, seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l’activité industrielle et commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société sera considérée comme un bien professionnel.
Le projet de loi prévoit aussi un renforcement des pénalités fiscales pour non-déclaration d’un compte à l’étranger. En cas de redressement, ces pénalités seront automatiquement de 80% (contre 40% la plupart du temps aujourd’hui). De plus, l’amende forfaitaire de 1.500 euros par compte (10.000 euros pour les comptes se trouvant dans les États ou territoires non coopératifs) – à laquelle sont soumis les contribuables, indépendamment d’un éventuel redressement – demeurera applicable.
Il est également à noter que plusieurs mesures visent à tirer les conséquences de décisions de justice: mise en conformité du régime dit « mère-fille » ; extension de l’exonération de taxe à 3% sur les dividendes aux filiales françaises de groupes étrangers (filiales détenues à 95% par la société mère) ; etc.
Pour ce qui concerne le soutien à l’activité économique, le collectif budgétaire prévoit la création du compte PME innovation (CPI), qui vise à inciter les personnes physiques impliquées dans la gestion de leur entreprise (entrepreneurs, fondateurs d’entreprises, dirigeants et salariés détenteurs de capital) à réinvestir leurs plus-values dans de nouvelles entreprises (PME de moins de 7 ans ou innovantes de moins de 10 ans) auxquelles ils apporteront non seulement leurs capitaux, mais aussi leur expérience professionnelle et leur réseau. En contrepartie de cet accompagnement, les plus-values et moins-values réalisées dans le CPI feront l’objet d’une imposition globale, reportée à la sortie des actifs du CPI. Ce dernier pourra être ouvert auprès d’un établissement de crédit, de la Caisse des dépôts et consignations, de la Banque de France ou d’une entreprise d’investissement.
Au cours de la navette parlementaire, de nombreuses dispositions importantes ont été adoptées, dont :
- l’obligation, pour les opérateurs de plateforme en ligne (Airbnb, Blablacar, Drivy, Zilok, etc.), de déclarer à l’administration fiscale les revenus perçus par les utilisateurs (ce dispositif, qui reprend une initiative du Sénat, s’appliquera aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2019) ;
- l’intégration, dans l’assiette de la taxe dite « vidéo », des recettes publicitaires et de parrainage liées à la diffusion gratuite sur Internet de contenus audiovisuels destinés à des particuliers établis en France (les plateformes étrangères seront également soumises à cette taxe) ;
- l’application d’un taux d’impôt sur le revenu de 50% aux profits réalisés sur des instruments financiers à terme lorsque le teneur de compte est établi dans un État ou un territoire non coopératif (ETNC) ;
- l’extension du bénéfice du dispositif du mécénat aux organismes ayant pour objet la sauvegarde du patrimoine culturel d’intérêt mondial ;
- l’application du taux réduit de TVA (5,5%) aux autotests de dépistage du VIH ;
- la clarification de la qualification fiscale des revenus tirés de la location meublée pour la détermination de l’impôt sur le revenu (à compter de 2017, les revenus tirés d’une activité de location meublée, qu’elle soit exercée à titre occasionnel ou habituel, relèveront de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux) ;
- la création d’une taxe affectée à la société de projet chargée de construire la liaison ferroviaire dite « CDG-Express » (perçue à compter du 1er avril 2024 sur les billets d’avion au départ ou à l’arrivée de l’aéroport Paris-Charles De Gaulle).
Lors de la première lecture au Sénat, j’ai fait adopter, au nom du groupe socialiste et républicain, plusieurs amendements qui ont été repris par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture :
- maintien du bénéfice de la réduction d'impôt dite « ISF-PME » pour les entreprises solidaires d'utilité sociale ;
- imposition, au titre de l’année de l’opération d’échange ou d’apport à laquelle elles se rapportent, des soultes perçues par les particuliers au titre des plus-values mobilières ou immobilières ;
- délai supplémentaire, à compter de la perception d’un complément de prix, pour effectuer un complément de réinvestissement dans le cadre du régime de report d’imposition obligatoire des plus-values mobilières ;
- aménagement du régime des plus-values placées en report d’imposition obligatoire ;
- extension aux « minibons » du régime spécifique d’imputation des pertes en capital liées à un prêt participatif (par dérogation au régime des bons de caisse, les « minibons » peuvent être émis par l’intermédiaire d’un prestataire de services d’investissements ou d’un conseiller en investissements participatifs au moyen d’un site internet) ;
- ajustement des tarifs de la taxe sur les installations nucléaires de base (INB) applicables à celles qui sont à l’arrêt définitif ;
- adaptation des modalités de calcul de la taxe à l’essieu (taxe spéciale sur certains véhicules routiers) pour les véhicules des cirques, manèges et centres équestres et pour les véhicules de collection.
D’autres dispositions issues d’amendements du groupe socialiste et républicain du Sénat figurent dans le texte adopté par les députés :
- application progressive de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) à la fourniture d’électricité dans les îles Wallis et Futuna ;
- définition d’un régime particulier, plus favorable que le droit commun, pour l’application de la taxe foncière sur les propriétés bâties aux logements faisant l’objet d’un bail réel solidaire (bail de longue durée par lequel l’occupant est placé dans une situation comparable à celle d’un propriétaire pour le bâti, mais pas pour le terrain) ;
- éligibilité aux prêts à taux zéro (PTZ) en cas d’accès à la propriété dans le cadre d’un bail réel solidaire ;
- transmission aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dotés d’une fiscalité propre de la liste des locaux n’ayant pas fait l’objet d’une imposition à la cotisation foncière des entreprises (CFE) l’année précédente ;
- définition des modalités de mise en réserve des excédents dégagés par le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), dont la mission consiste à protéger les clients en cas de défaillance de leur établissement bancaire ;
- plafonnement à 100.000 euros de la garantie de l’État apportée aux dépôts sur les livrets d’épargne réglementée (livrets A, livrets de développement durable, livrets d’épargne populaire) ;
- mise en conformité de la redevance sur les paris hippiques en ligne avec le droit européen ;
- modification du régime fiscal applicable aux casinos installés à bord de navires battant pavillon français ;
- éligibilité au régime d’imposition du « micro-BA » des exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) dont l’associé unique est une personne physique dirigeant l’exploitation ;
- suppression de l’agrément administratif préalable permettant de bénéficier du crédit d’impôt pour le logement social en outre-mer ;
- relèvement de 2,5% à 5% du taux maximal de l’octroi de mer régional en Guyane ;
- augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de la collectivité territoriale de Guyane ;
- ajustement de la réforme des aides personnelles au logement aux bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) ;
- relèvement du plafond de la taxe sur les ventes de produits phytopharmaceutiques affectée à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).
Par ailleurs, toujours à l’occasion de la première lecture, j’ai présenté trois amendements intéressant les Français établis hors de France et les anciens expatriés. Le premier vise à permettre aux retraités fiscalement domiciliés en France qui perçoivent des pensions de source allemande de bénéficier du crédit d’impôt visant à éviter une double imposition au titre de l’impôt dû à raison des revenus perçus entre 2005 et 2015, nonobstant l’expiration des délais de réclamation prévus par le livre des procédures fiscales (voir mon article du 19 décembre). Cette disposition a été maintenue par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, contrairement à celle prévue par mon deuxième amendement, qui visait à aligner le dispositif d’exonération des plus-values immobilières réalisées en France par les non-résidents sur celui applicable à la résidence principale des résidents (voir mon article du 16 décembre).
Quant à mon troisième amendement, il visait à permettre à tous les non-résidents qui ne perçoivent aucun ou quasiment aucun revenu de source étrangère de bénéficier du mécanisme de la décote, qui, en l’état actuel du droit, s’applique uniquement aux résidents et aux non-résidents dits « Schumacker » (contribuables établis dans les États membres de l’Espace économique européen dont les revenus de source française sont supérieurs ou égaux à 75% de leur revenu mondial imposable). Son rejet est d’autant plus regrettable qu’un amendement identique avait été adopté par le Sénat à l’occasion de la première lecture du projet de loi de finances pour 2016.
Enfin, je me réjouis du rétablissement, par l’Assemblée nationale, de l’article relatif à l’approbation de l’avenant à la convention fiscale franco-portugaise, que la majorité conservatrice du Sénat avait supprimé.
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