L’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution sur le projet de loi pour l’activité et la croissance suscite de nombreuses réactions hostiles, y compris au sein de notre parti. Qu’en penser ?
La droite, l’extrême droite et l’extrême gauche voteront ensemble une motion de censure contre le gouvernement, situation cocasse mais non moins choquante dans son principe. Fidèles à eux-mêmes, ces alliés (contre-nature ?) sont au demeurant dans leur rôle habituel d’opposition systématique à l’action du gouvernement.
Ce qui est plus regrettable en revanche est que l’utilisation de cette procédure soit le dernier recours possible pour mettre une minorité de députés socialistes « frondeurs », qui prend en otage la majorité gouvernementale en menaçant régulièrement de voter contre un texte du gouvernement, devant ses responsabilités.
La situation risible à laquelle le groupe socialiste nous a habitués n’a que trop duré. La clarification politique est devenue inévitable et nous verrons jusqu’où ira la « clause de conscience » qu’affichent certains députés pour s’affranchir de la règle de la décision collective (le débat étant tranché en interne) propre au fonctionnement historique de notre parti. En vérité, on le sait déjà : aucun élu ne franchira le Rubicon. Tout ceci n’est qu’un petit jeu : un pied dehors (pour critiquer), un pied dedans (pour rester). Pour ma part, je considère qu’élu en tant que socialiste j’ai un devoir de fidélité envers mes électeurs et mon parti. Seul un grave désaccord politique ou moral pourrait m’en affranchir. J’en tirerai alors la conséquence : démissionner.
Alors pourquoi tant de remous inutiles et de verbiages pompeux sur le « changement de civilisation » qu’imposerait le fait de pouvoir travailler 12 dimanches par an au lieu de 5 ? Au-delà de la cure médiatique que permettent ces prises de position qui « dérangent » et dont sont friands BFM TV et iTÉLÉ, j’y vois surtout un moyen de se positionner pour préparer les élections du Congrès de Poitiers. En somme, la division artificielle repose sur des intérêts personnels bien réels.
Je ne voudrais pas donner l’impression de me féliciter du recours à l’article 49-3. Cette pratique n’est pas heureuse pour le débat parlementaire. Force est pourtant de constater qu’elle n’est pas nouvelle : elle a été utilisée à 82 reprises sous la Vème République et en grande partie sous des gouvernements socialistes, le record allant à Michel Rocard qui l’a utilisé 28 fois, notamment pour faire adopter la CSG – rappelons qu’à l’époque le gouvernement n’avait pas de majorité à l’Assemblée. C’est d’ailleurs pour encadrer cet usage trop régulier que la réforme constitutionnelle de 2008 est venue limiter sa mise en œuvre à un projet ou une proposition de loi par session, hormis les projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale pour lesquels la responsabilité du gouvernement peut toujours être engagée.
Contrairement aux exagérations que j’ai pu entendre, cette pratique n’est pas antidémocratique. Ou alors, c’est notre Constitution qui l’est ! Je crois à l’inverse que l’équilibre politique et institutionnel que permettent, d’un côté, l’engagement de la responsabilité du gouvernement qui peut tomber par le vote d’une motion de censure et, de l’autre, le pouvoir de dissolution, est précieux pour surmonter les blocages inhérents au processus de décision démocratique. Regardons ce qui se passe aux États-Unis : quand le Congrès et l’exécutif ne trouvent pas d’accord sur le budget fédéral avant la date limite, le système est paralysé et les fonctionnaires sont mis au chômage technique le temps qu’un accord soit trouvé. Est-ce là un exemple à suivre ? Certainement pas.
Je note par ailleurs que le gouvernement de Manuel Valls n’a pas imposé son texte mais a montré sa volonté de co-construction avec les parlementaires. Le débat a duré plus de 100 heures en hémicycle. Le texte a été considérablement enrichi par les amendements des députés passant de 106 articles à près de 300. C’est ce texte issu des travaux de l’Assemblée et non le texte initial qui fait l’objet de l’engagement de la responsabilité du gouvernement. Enfin, il faut souligner qu’absolument tous les articles de ce projet de loi modifié ont recueilli un vote positif de l’Assemblée. C’est uniquement le vote sur l’ensemble du texte qui posait problème car ceux qui ont voté pour certains articles ne votent pas nécessairement pour le texte final dans sa totalité. Si chaque parlementaire se met à voter contre un texte car une seule disposition de ce texte ne lui plaît pas, alors il serait impossible de trouver une majorité sur un texte. La démocratie, ce n’est pas l’unanimisme et chacun doit prendre conscience des conséquences de son vote. Il est par ailleurs sain qu’une démocratie prévoit, si cela s’avère nécessaire, la possibilité de remettre en jeu la légitimité à la fois du gouvernement devant le Parlement et du Parlement devant les électeurs. De ce point de vue, l’utilisation de l’article 49-3 n’est pas un déni de démocratie, c’est un test démocratique.
Mais revenons à notre loi, la loi « Macron », qui aurait pu s’appeler la loi « Montebourg » car, rappelons-le, c’est bien ce dernier qui l’a presque entièrement préparée et aurait dû la présenter s’il n’avait pas démissionné entre temps. J’ai déjà présenté dans un article le contenu largement positif de ce texte : réforme des professions réglementées, ouverture de l’offre de transport par autocar, régulation des péages autoroutiers, réforme du permis de conduire, réforme de l’actionnariat salarié et de l’épargne salariale… Toutes ces mesures s’articulent autour de deux piliers complémentaires : améliorer le pouvoir d’achat des ménages et libérer les énergies des entreprises pour relancer l’activité.
La question du travail du dimanche est quant à elle souvent mal comprise – par mauvaise foi ai-je parfois l’impression. Le travail dominical est déjà autorisé de façon permanente dans certains secteurs. De fait, selon le ministère du travail, environ 30% des salariés et 50% des non-salariés, soit plus de 8 millions de personnes travaillent, au moins occasionnellement, le dimanche dans les commerces de bouche, les restaurants, les cinémas, les musées, les transports, les hôpitaux et même dans certaines industries qui doivent tourner en continu (production d’énergie). Les restrictions sont en revanche fortes pour certains commerces non alimentaires, qui ne peuvent ouvrir que 5 dimanches par an sur décision du maire, à l’exception de ceux situés dans l’une des 640 zones touristiques qui peuvent ouvrir tous les dimanches en période touristique et ceux situés dans l’un des 31 périmètres urbains de consommation exceptionnels (PUCE) qui n’ont aucune restriction d’ouverture le dimanche. Seuls les salariés des PUCE bénéficient actuellement de compensations salariales, ainsi que les salariés travaillant l’un des 5 dimanches autorisés par le maire. En revanche, les salariés travaillant dans les zones touristiques ne bénéficient pas obligatoirement de compensations salariales et peuvent être contraints par leur employeur à travailler le dimanche. Sur cette base légale assez disparate, que prévoit le projet de loi ? Premièrement, il donne au maire la possibilité d’autoriser les commerces de sa ville à ouvrir 12 dimanches par an contre 5 aujourd’hui. Deux remarques : d’une part, c’est une possibilité que le maire est libre d’utiliser ou non ; d’autre part, c’est un plafond donc ce n’est pas 5 ou 12, mais cela peut être 6, 8, 10… Cette souplesse encadrée me semble tout à fait raisonnable pour adapter l’ouverture des commerces à l’évolution des modes de consommation en tenant compte du contexte local. Deuxièmement, et c’est le plus important, le projet de loi étend l’obligation de volontariat et de la compensation salariale à toutes les zones et tous les commerces. Concrètement, aucun commerce ne sera autorisé à ouvrir le dimanche, même ceux qui le peuvent aujourd’hui, en l’absence d’un accord de branche, de territoire ou d’entreprise. Arrêtons donc de dire que ce texte est une régression pour les droits des salariés, surtout quand on ne l’a pas lu ! Pour ma part, et ce sera le cas de la quasi-totalité du groupe socialiste au Sénat, je voterai ce projet de loi.